Pasteur en délire - Les médias ont-ils joué avec l'autodafé du Coran ?
Jean-Claude Leclerc 13 septembre 2010 Éthique et religion
Le pasteur Terry Jones aura réussi à retenir l’attention des médias avec sa menace de brûler le Coran.
En faisant le jeu d'un pasteur en mal de brûler le Coran un 11 septembre 2010, les médias ont-ils failli provoquer un grave incident? Avant même que Terry Jones n'ait pu mettre son projet à exécution, plusieurs ont posé la question. Le président Barack Obama, ayant pressenti le danger, hésitait à donner trop d'importance au personnage. Mais comment un pareil type, hier inconnu, a-t-il pu retenir ainsi l'opinion mondiale?
En juillet, à l'annonce de sa «Journée internationale pour brûler le Coran», le chef spirituel du Dove World Outreach Center n'avait guère capté l'attention des médias. Certes, un site «athée» avait noté la parution d'une page sur Facebook. Et aux États-Unis comme à l'extérieur, une vidéo placée sur YouTube le 17 juillet avait provoqué des réactions. Parmi les premiers à s'y intéresser, on relève le blogue d'un Michael Tomasky au Guardian de Grande-Bretagne.
Deux jours après, une association américaine d'Églises évangélistes diffusait, il est vrai, une déclaration pressant le groupe de Jones d'abandonner son idée de brûler des exemplaires du Coran. Mais, le 31 juillet, une entrevue du pasteur intégriste à CNN lui donnait une tribune internationale. Une agence de presse ayant relevé cette nouvelle affaire de Coran, plusieurs médias la mentionnèrent, dont le Times of India!
Au début d'août, le Sun de Gainesville — 115 000 habitants, et site de l'Université de Floride — interviewe le maire, Craig Lowe, qui réprouve le comportement du pasteur. Et les citoyens qui s'expriment semblent, pour la plupart, du même avis. Or, d'après une des analyses de cette étrange initiative, même si le débat se poursuit alors sur les réseaux sociaux ainsi qu'à la télévision et à la radio, l'histoire n'a pas encore pris une importance internationale.
Les uns attribuent l'escalade à la distribution de corans gratuits par le Conseil des relations américano-islamique. D'autres trouvent plutôt que David Petraeus, chef des forces de l'OTAN en Afghanistan, a mis le feu aux poudres en intimant à Jones de cesser de mettre en danger la vie de soldats et de civils à l'étranger. Des journalistes l'ayant interrogée, la secrétaire d'État, Hillary Clinton, a condamné, bien sûr, l'autodafé. Il ne restait plus au secrétaire à la Défense, Robert Gates, puis au président lui-même qu'à interpeller Jones pour que l'homme devienne un acteur mondial.
Qui est responsable alors de ce délire collectif, la presse ou la Maison-Blanche?
La presse a raté une bonne occasion d'examiner la source de cette «nouvelle». Quelle compétence théologique, en effet, permettait à Jones — qui n'a jamais étudié l'islam — de condamner le Coran ou de dicter aux musulmans où bâtir une mosquée? Quelle expérience à titre de «pasteur» l'autorisait à presser les adeptes de la vraie foi de «se tenir debout»? Aucune. Il aura fallu que son bûcher soit à la veille de flamber pour que des médias s'intéressent au passé du personnage.
Qui est-il ?
Cet ancien gérant d'hôtel a pris la direction, il y a 15 ans, d'une petite secte fondée par un homme d'affaires en 1986. Avec son épouse, il en habitait une grande propriété, mais surtout y gérait une entreprise de meubles, vendus sur eBay. Ses ouailles ne dépassaient pas la cinquantaine. Et dans une «académie» attenante, des pensionnaires s'occupaient aussi à travailler pour l'entreprise du pasteur.
D'après des rapports de presse en Allemagne, Jones y a été associé à une «communauté chrétienne» à Cologne, avant d'en être écarté. Son style de leadership était contesté, ainsi que son diplôme de théologie, obtenu d'une école biblique non reconnue. En Floride, sa petite Église s'était donné un mandat universel, comme son site le proclame, mais elle n'avait guère de succès.
Jones a certes publié un livre dont la page titre affirme que «l'islam vient du Diable». Mais ses affaires vivotaient. Les autorités locales de Gainesville mettaient en question son statut fiscal. Le moment pour le prophète de frapper un grand coup n'était-il pas venu? Avec tous ces musulmans osant implanter une mosquée à deux pas de Ground Zero, Dieu lui en aura, dit-on, donné l'inspiration.
L'Amérique s'éveillant au péril, le pasteur de Gainesville allait enfin fournir de quoi la galvaniser. Pourtant, rappellent des chroniqueurs, il n'aura pas été le premier à lancer l'idée d'un autodafé du Coran. Plus tôt, en 2008, un pasteur de la Westbobo Baptist Church de Topeka, au Kansas, en avait brûlé un exemplaire en pleine rue, et immortalisé la scène sur un film. Même illustré, l'événement, pourtant, ne fit pas le tour du monde. Les médias n'en avaient pas fait une nouvelle.
(Radio-Canada fit mention de cette Église de Topeka, — non reconnue par la confession baptiste — quand certains de ses membres, déjouant les gardes-frontières, vinrent au Manitoba, à l'occasion des funérailles d'une victime d'acte criminel. Ce crime était la punition de Dieu pour la tolérance de l'avortement, de l'homosexualité et autres plaies sévissant au Canada.)
Cette fois, les médias n'auraient probablement pas parlé de Jones si son projet, circulant sur les réseaux sociaux et sur les stations qui y prennent leur pâture, n'avait ameuté un plus grand public. Quand le public s'émeut, les médias s'agitent, et les politiciens également. C'est ainsi qu'un pasteur sans envergure, mais friand de notoriété, a réussi à kidnapper jusqu'au président des États-Unis.
Bref, ce «media event» spectaculaire mais débile n'aurait obtenu qu'une mention à la chronique des incidents loufoques, si les médias s'étaient le moindrement enquis du triste curriculum de Terry Jones. Par contre, en donnant une grande visibilité à une violence symbolique, ils risquaient de provoquer ailleurs des réactions extrêmes qui, elles, auraient été fort réelles.
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redaction@ledevoir.com
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Jean-Claude Leclerc enseigne le journalisme à l'Université de Montréal
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