Le devoir- (A3) , vendredi, 15 mars
2013
15 mars 2013 | Christian Rioux | Éthique et religion
Le silence
de la place Saint-Pierre
Christian Rioux
|
Nous étions quelques centaines de milliers sous la bruine à attendre que
le pape daigne se montrer à la loggia des bénédictions. Nous étions tous là à
surveiller le moindre petit signe de vie, à guetter une ombre à la fenêtre.
Lorsque le nouveau pape s'est avancé, cela ressemblait encore à un film. Le
délire de la foule semblait irréel. Mais c'est lorsque ce jésuite venu
d'Argentine, dont le nom ne disait strictement rien à personne — «Bergoglio!
Chi è questo Bergoglio ?» —, a demandé à la foule d'observer une minute de
silence que la tension fut à son comble.
Un vrai silence de mort !
Imaginez une véritable marée humaine qui, du parvis de la basilique au castel
San Angelo 700 mètres plus loin sur les bords du Tibre, s'interrompt tout à
coup, ne dit plus un mot, ne fait plus un geste et s'arrête presque de
respirer. En plein délire médiatique universel, la cacophonie du monde avait
soudain suspendu son vol.
C'est là que je me suis dit que
cette drôle d'Église venait de nous jouer un sacré bon tour. Bref, qu'elle
savait encore y faire, la sacripante. J'imaginais Benoît XVI souriant dans sa
barbe devant son téléviseur à Castel Gandolfo, à 30 kilomètres de là. N'est-ce
pas lui qui n'avait cessé de souligner tout au long de son pontificat l'importance
du silence dans un monde qui bruit de mille agitations ? N'est-ce pas lui qui
évoquait ce «parloir de l'âme» qu'est le silence et qui avait encouragé
les jeunes réunis dans la cathédrale de Sulmona, en Italie, à «écouter Dieu
dans le silence extérieur et surtout intérieur» ? En 2012, il avait même
poussé la provocation jusqu'à faire du «silence» le thème central de la
Journée mondiale des communications sociales. Vous avez bien lu : le silence
comme thème d'une journée de la communication !
On dit souvent que le temps de
l'Eglise n'est pas le temps des médias. Nous en aurons eu une nouvelle preuve
éclatante. Tout au long de cet étonnant conclave, l'Église aura dupé tous les
médias du début à la fin. A moins que nous ne nous soyons dupés nous-mêmes. On
attendait un jeune manager capable de réformer la Çurie, on supputait
les chances d'un prince de l'Eglise à poigne capable de reprendre les choses en
mains, un maître de la communication sachant twitter. Voilà qu'apparaît un pape
François presque aussi âgé que Benoît XVI lors de son élection, un amoureux des
pauvres que personne n'attendait, et qui nous impose comme première tâche
urgente et essentielle de nous taire pendant au moins une minute. Chut!!!
C'est que, pendant que tous les «vatica- nistes »
multipliaient les prévisions et conjecturaient à hue et à dia, les cardinaux
poursuivaient, eux, leur petit bonhomme de chemin. L'ancien spécialiste du
Monde, Henri Tincq, écrivait mercredi sur State.fr
que tout se passait «comme si les cardinaux avaient voulu reprendre le
fil du conclave de 2005 quand l'élu d'aujourd'hui avait été, bien malgré lui,
le challenger de Joseph Ratzinger». Huit ans plus tard, les cardinaux ont
repris leur travail où ils l'avaient laissé et élu celui qui talonnait Benoît
XVI.
Pour
l'imaginer, peut-être aurait-il fallu oublier un peu les palpitantes luttes de
fractions et les sombres complots du Vatican. Peut-être aurait-il fallu cesser
de lire les médias américains qui, au Vatican comme ailleurs, ne jurent que par
des réformes administratives et le déficit zéro. Peut-être aurait-il fallu ne
pas prêter l'oreille à tous ceux qui s'imaginent que la modernité s'écrit en
140 caractères sur Twitter et surtout pas en latin. Peut-être aurait-il fallu
nous contenter de lire — oui lire ! — les délibérations du dernier synode des
évêques. La dernière fois qu'ils s'étaient vus, les évêques avaient en effet
débattu de la «nouvelle évangélisation». Or, sur quel continent cette «
nouvelle évangélisation » est-elle la plus urgente et en même temps la plus
menacée sinon en Amérique latine, où les sectes protestantes grugent lentement
le capital de l'Église avant de venir la concurrencer en Afrique et en Asie ?
En Occident, et peut-être encore plus au Québec, nous n'avions d'yeux que pour
la morale sexuelle de l'Église, un sujet certes important, mais qui finit par
devenir obsessif et qui est surtout secondaire dans l'ensemble de ce qui se
brasse au Vatican.
Cette semaine,
le père LeFloc'h, un Breton de Nantes croisé devant la place Saint-Pierre, me
disait que, «dans nos petites chapelles d'Occident», nous n'arrivions
pas à voir que, loin d'être ce «cadavre encore grouillant» que l'on a
déjà décrit au Québec, l'Eglise était en pleine explosion dans le monde.
L'appel à la
justice sociale du cardinal So- dano dans son homélie d'ouverture du conclave
aura donc été entendu. Mais, qu'on se le dise, ce pape ne sera pas à la mode.
Il est d'ailleurs venu le dire chez nous en 2008: «Si moderne veut dire
imiter le monde, l'Église ne le sera pas. L'Église doit être moderne dans ses
moyens de transmettre la Bonne Nouvelle [...]. Mais si elle veut être
progressiste en captant les idéologies, alors elle risque de devenir une ONG
vide et adolescente. »
Et si la modernité résidait dans le silence plus que dans la cacophonie ?
Sacré François !
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